CRITIQUE D 'ART

Lumière sur tranches de vies
Par Jacky Pouillon

Un court instant s’est dérobé au temps, saisissant avec lui ce qui nous échappe de l’inénarrable simplicité de la vie, de l’indicible poésie du visible, de l’ineffable beauté d’un moment. La cécité de nos regards face à l’ordinaire s’envole, laissant entrevoir l’essence profonde du quotidien, l’émerveillement émergeant de la banalité, l’évasion se dessinant à travers l’anodin. Des tranches de vies peintes aux hasards de flâneries urbaines et de promenades estivales en bord de mer qui capturent l’intimité des personnages et la lumière des lieux. L’action s’y déroule alors que la réalité semble marquée d’une trêve, comme suspendue à la quiétude que dégage l’atmosphère.
Les huiles sur toiles de Jacky Pouillon révèlent la valeur expressive du dessin, de la lumière, des couleurs et la sérénité des compositions qui met en valeur les sujets. En effet, le dépouillement de l’arrière-plan dans la simplification des motifs allant même jusqu’à l’abstraction du fond, dans ce cas brumeux et monochrome, permet de mettre en évidence les acteurs de la scène, d’isoler des silhouettes par rapport à des lieux fréquentés que l’on sait grouillants d’individus ou au contraire les ancrer dans l’espace face à l’immensité des ciels, des eaux, des rivages ou de la ville. S’il y a présence d’éléments en arrière-plan, c’est que ceux-ci ont un rapport direct avec les personnages et sont nécessaires à la compréhension de leurs états d’âme. L’artiste ne retient donc que l’essentiel laissant une impression de calme aux yeux et à l’esprit du spectateur. Le coup de pinceau se veut modulé, tantôt lisse, tantôt vaporeux, parfois même morcelé mais reste toujours minutieux. Une palette tendre aux tons chauds explore des gris, des blancs colorés, des ocres, des rouges discrets et des bleus feutrés. La force réconfortante de la lumière inonde l’espace et darde les personnages de son intensité alors que les ombres renchérissent, par leurs effets de contrastes, son pouvoir si particulier.
Les œuvres de Jacky Pouillon invitent le spectateur à devenir le témoin invisible de la vie courante des habitants de Paris dans la série « Vie citadine » ou de personnages situés en des lieux plus lointains, « Entre Terre et Mer », à savoir sur le pont d’un bateau ou sur le bord d’une plage. Les individus n’ont pas conscience d’être observé, leur regard se soustrait au notre, réitérant la spontanéité des scènes issue de cet effet d’instantanéité photographique. L’œil de l’artiste ne se fait pas pour autant totalement indiscret puisque les personnages, se trouvant toujours en des lieux ouverts et publics, savent pertinemment qu’ils sont exposés aux regards d’autrui. Néanmoins, la sensibilité de l’artiste décèle ces brefs instants qui révèlent, le temps d’un souffle, une pensée, un sentiment ou un état d’esprit chez ces individus dont l’intimité est alors dévoilée d’une manière pudique et mesurée. Le spectateur ne se fait pas donc voyeur mais juste un observateur et ne peut qu’utiliser son imagination s’il veut en savoir plus. Outre les acteurs de la scène, les objets se font parfois les sujets de la narration et plus particulièrement les moyens de transports tels que vespa, tramway et vieux modèles d’automobiles. La récurrence de voitures anciennes des années cinquante ou soixante, apporte une facture singulière, un certain romantisme, une heureuse nostalgie qui tempère la contemporanéité de notre temps.
« Mon objectif en peinture a toujours été la transcription la plus exacte possible de mes impressions les plus intimes de la nature » écrivait Edward Hopper. Principal représentant du mouvement de la « scène américaine », s’attachant à représenter la vie quotidienne de son époque comme un arrêt sur image, Hopper est un réaliste qui cependant puise ses racines dans l’impressionnisme français et ce notamment par son traitement de la lumière. C’est pourquoi, le travail de Jacky Pouillon fait écho aux œuvres d’Hopper par son réalisme empreint d’une luminosité particulière, d’une poésie des touches de couleurs qui reflètent l’enchantement face au réel.
Chacun d’entre nous peut se reconnaître dans les toiles de Jacky Pouillon qui fait de la réalité du quotidien œuvre créatrice. A travers sa modestie et son grand respect d’autrui, il évoque sa vision du réel avec douceur, mesure et charme tout laissant la place à une part de lyrisme d’une simplicité déconcertante. Selon Joseph Sanial-Dubay dans Pensées sur l'homme, le monde et les mœurs : « La simplicité est la marque d'une belle âme et souvent d'un grand homme, comme elle est toujours le caractère du beau et du sublime. » C’est ainsi, que l’art de Jacky Pouillon se fait le partage de la simplicité des joies et des beautés de l’existence.

Sarah Noteman, critique d’art, Avril 2017

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